jeudi 1 mars 2012

Denis Marie


Introduction

Que nous manque-t-il encore pour être heureux ? Combien de temps encore allons-nous être séduits par ce discours trompeur et cette propagande publicitaire qui nous incite à courir après un bonheur illusoire ? Que peuvent nous apporter toutes les richesses du monde et toutes nos accumulations si, dans notre cœur, nous ne sommes pas heureux ?

Aujourd’hui, nous touchons nos limitations et exprimons nos contradictions en prise avec un monde essentiellement axé vers le matérialisme et compromis dans des idéologies simplistes et mercantiles, qui ne nous permettent pas de nous connaître. Notre insatisfaction dans cet âge confus nous pousse à la maturité, à ne plus vouloir naïvement refaire le monde, mais bien plus une révolution intérieure et personnelle. La priorité est de nous orienter vers la source afin d’y retrouver le sens de la vie et la réponse à notre soif pressante de bonheur authentique. Nous pouvons le décider avec la conviction que la spiritualité est universelle et qu’elle est le lien avec notre identité fondamentale. Elle n’est en rien un domaine particulier, réservé aux religions, aux traditions spirituelles ou à tout autre spécialiste. Si nous souhaitons améliorer le monde, pour commencer, il nous revient en tant que partie intégrante de ce monde de prendre soin de nous. Si nous en ressentons l’appel, c’est que ce changement nous incombe et qu’il est légitime.

C’est dans le cadre familial que j’ai rencontré la spiritualité. Au début, cela fut par une approche classique au contact de la tradition chrétienne, puis en m’engageant dans la voie bouddhiste durant de nombreuses années. Ébranlé par des problèmes de santé, je pris conscience de l’urgence. Je décidais d’abandonner mon affairement de pratiques et de méditation afin de me consacrer à une approche plus intuitive reliée au cœur.

Pour tous ceux qui aspirent au changement profond à travers une démarche spirituelle, je voudrais partager ce qui m’a enfin transformé, et qui me conduit à écrire cet ouvrage traitant de l’éveil et de son caractère « ordinaire ». Je souhaite du mieux que je puisse rapporter cette découverte, tant elle a pour moi renversé toute une conception erronée que j’avais de l’Éveil et de « l’Aventure spirituelle », héritée d’une imagerie populaire et d’un discours traditionnel.

C’est en me trouvant loin des temples, des rites et des Maîtres spirituels, au fond d’un lit d’hôpital, sans réelle méthode et pour toute inspiration une simple prière en mon cœur, qu’à travers la guérison du corps et de l’esprit, cela s’est produit.

C’est arrivé l’un des jours qui ont suivi ma transplantation, alors que j’étais encore hospitalisé. Tandis qu’avec intensité j’exprimais toute ma gratitude, que je remerciais le ciel et tous ceux qui avaient contribué à ma guérison, à ma grande surprise et de façon croissante, « tout se donnait ».

À cet instant, j’ai ressenti comme un relâchement profond accompagné d’une ouverture intense et débordante du cœur. Assis dans mon lit, branché à tout un tas de tuyaux et de machines, je me retrouvais pleinement heureux, épris d’un amour inconditionnel. Je vivais les plus belles heures et ce qui fut par la suite les plus beaux jours de ma vie sans comprendre ce qui m’arrivait. J’étais comblé. Je percevais comme une abondance, un don infini. À travers tout, une générosité universelle se déployait et j’en faisais partie. Chaque matin à mon réveil, incrédule, je regardais en moi et c’était encore là, comme à m’attendre. Qu’elle était merveilleuse cette bonté naturelle et jaillissante que je recevais ! À présent tout était si simple et plein d’humour à la lumière généreuse du cœur, à travers cet amour nourrissant qui m’abreuvait. Tout s’éclaircissait et prenait place à propos de ma vie, de la vie et bien sûr de la démarche spirituelle dans laquelle je m’étais investi depuis tant d'années (...)


“Connais-toi toi-même”

Celui qui cherche est “Celui” qu’il nous faut rencontrer.

(…) Loin d’être un but mythique, l’éveil est ordinaire, l’éveil est déjà là. Il est à la portée de chacun, depuis là où il est. Il ne s’agit pas d’une performance spirituelle, d’une transcendance hors de portée, réservée à quelques élus ou à certains Êtres d’exception et qui s’obtient au terme d’un long et dur chemin d’ascèse.

S’éveiller c’est comprendre notre Nature véritable, c’est réaliser « Celui que l’on est » avant tout, originellement et dont jamais nous n’avons été séparés. Nous y sommes constamment, indépendamment de notre volonté et des situations diverses que nous vivons. Notre Nature est éveil, c’est nous, et non « une nature » cachée au fond de nous, qu’il nous faudrait retrouver. S’éveiller ne signifie pas atteindre un état de conscience supérieur, mais c’est recevoir et connaître l’ouverture naturelle qui sous-tend toute conscience. C’est rencontrer en nous l’éclat spontané du bonheur parfait derrière lequel nous courons, comme après une ombre fugace et inaccessible, malgré nos innombrables entreprises pour l’obtenir par une saisie.

L’éveil spirituel marque le passage de ce que nous croyons être, à ce que nous sommes véritablement. C’est une totale démystification, le renversement du règne illégitime de l’esprit conceptuel, détrôné par une vue directe et spontanée qui s’actualise indépendamment des constructions du mental.

Parler « d’atteindre » l’éveil n’a pas de sens. Ce qui le caractérise et l’atteste, c’est l’épuisement total de toute notion de voie et de cheminement qu’il provoque, ainsi que l’effondrement de l’idée de « devenir » et de distance. En fait, il n’y a rien à rejoindre qui ne soit déjà là. Par conséquent, toute perspective, toute méthode dirigée vers un but s’avère caduque. Si nous sommes pleinement d’accord pour être ici, au cœur de l’instant présent, nous pouvons réaliser que naturellement nous reposons dans l’éveil et qu’il n’y a aucune distinction entre lui et nous. (…)


Le don du cœur

“Le bonheur est en nous,
notre pauvreté c’est de ne pas connaître notre richesse.”

(…) Le bonheur est en nous. Il est comme un trésor que nous détenons, mais dont nous n’avons pas conscience. Il est comme une source abondante en notre Être à laquelle nous ne savons pas nous relier, à laquelle nous ne savons pas nous donner accès. Si par la simple évocation d’un bonheur vécu nous pouvons en réitérer l’expérience, c’est bien qu’il est déjà là. Ce n’est pas un ersatz de bonheur qui est éprouvé, mais bien le même bonheur, comme tous ceux que nous avons connus dans notre vie. Ce ne sont pas « des bonheurs », mais une succession d’autorisations, d’ouvertures à un seul et même bonheur en nous.

(…) Il y a une vie qui est là déjà en nous, dans notre cœur. Comme un enfant délaissé, qui nous attend et nous réclame. Une façon simple de regagner son cœur consiste à formuler un vœu, un souhait. Du fond du cœur avec un élan profond et sincère, nous exprimons cette demande. Il n’y a pas vraiment de mot ou de formule magique à prononcer ; ce qui compte le plus, c’est notre authenticité, la foi de vie et d’espoir que nous y mettons. Nous la faisons dans une entièreté telle, que soudainement par cette inspiration, l’espace en nous est recréé. Alors, nous renaissons dans une ouverture inconditionnelle, qui nous laisse sans mots, suspendus… À cet instant, nous pouvons nous sentir touchés en notre Être, tout comme une seule étincelle enflamme du bois mort. Notre cœur est plein d’amour contenu, pareil à un trésor qui n’attend que d’être découvert. D’une simple étincelle peut naître un brasier. (…)

(…) Le premier regard a la spontanéité du silence. Il est l’aspect réflexif et cognitif lié à notre Nature, comparable à la qualité réfléchissante de l’eau. De ce fait, il ne dépend ni d’une conscience, ni d’une volonté. Reconnaître cette qualité innée en nous, c’est « Voir », et ne plus être limité par un regard discriminant et duel que nous impose la conscience ordinaire. Se situer dans le premier regard, c’est voir depuis le cœur.

Voir que c’est parfait ne nous rend pas juste spectateur d’une perfection, mais nous inclut dans cette perfection. Cela nous délivre des doutes et apporte la certitude. Quand nous ne Voyons pas, nous cherchons, nous doutons. (…)

(…) Voir, nous fait comprendre qu’il n’y a rien, aucune séparation, aucun but à atteindre, aucun ailleurs. Il n’y a pas une once de pratique à faire ou même de problème à élucider. Il n’y a pas la notion d’un second, d’un autre, d’une inconnue à résoudre. Toute division ou construction n’est que symbolique et ne se produit qu’au sein d’une même base, d’un même espace.

Observer comment nous nous accrochons toujours à une pensée, tenus et captivés par les jeux de l’esprit. Être en la Source et la Voir permet naturellement de prévaloir sur notre cinéma et de couper court à son attraction tout en répondant à l’appel profond de notre cœur. Pour réaliser la Vérité nous n’avons pas besoin de l’esprit pensant, car la Vérité se connaît et se suffit à elle-même. La Vérité est entière et omniprésente. Elle est semblable à la lumière qui éclaire tout, sans stratégie ni jugement. Nous pouvons permettre à cette lumière d’accomplir en nous son œuvre en nous illuminant.

Nos yeux voient et nos oreilles entendent parce que c’est leur nature. Pareillement, la Vérité en nous connaît et s’illumine naturellement, sans intention, ni effort particulier. (…)


"S’accepter"

Ne sommes-nous pas toujours avec nous-mêmes ?

(…) La paix provient de se connaître, se connaître provient de s’accepter et s’accepter provient de s’être réconcilié. La démarche spirituelle passe par une réconciliation avec nous-mêmes. On ne se débarrasse pas d’un ennemi en l’ignorant ou bien en le chassant par la force, mais en l’apprivoisant. L’amitié, c’est s’aider en travaillant sur nos « mauvais » aspects, « avec » et non plus « contre » nous. La première chose à régler c’est de se mettre en paix avec soi-même. Il n’y a pas à devenir pacifiste ou à se soumettre à une attitude dite « paisible », mais à rejoindre la paix tranquille et naturelle qui surviendra consécutivement au relâchement des conflits par notre réconciliation. Nos états de mal-être n’ont pas à être compensés, mais à être accueillis et soignés. Nous souffrons en contrecoup de la partie qui nous manque. Quelle véritable paix pourra être possible si nous ne traitons pas ce qui nous divise ? Se mettre en paix avec soi-même c’est aussi faire la paix avec l’autre. C’est mettre fin à des conflits qui ne guérissent rien.

Nous voudrions nous prouver que nos histoires sont plus fortes que nous. Toutes ces histoires c’est dans notre esprit qu’elles s’élèvent, toujours dans notre esprit, le même esprit. Nous ne sommes pas nos histoires, aussi le changement ne tient-il qu’en une décision, ce n’est pas quelque chose d’élaboré qu’il faut faire ou parfaire. L’illusion ne tient que par une non-décision et toutes les fausses promesses qui s’en suivent. Il y a un mensonge et, plutôt que de le percer, nous l’avalisons en lui laissant un terrain pour exister.

Le mensonge a fait de nous des menteurs et les menteurs ne savent que mentir et se tromper intelligemment. Mais qui ment ? Qui s’investit dans le fait de mentir ? Quel est ce visage derrière le masque qui le recouvre, sous le fard et les couleurs qui le travestissent ? S’il y a un mensonge, alors il y a aussi une vérité sans laquelle nous ne pourrions mentir. Il y a une imposture et, plutôt que de la démasquer, nous la cautionnons en lui permettant d’exister par une fuite éperdue déguisée en recherche. Cette dérobade peut être subtile, car nous savons avancer de bons arguments afin d’obtenir notre propre capitulation. (…)


"S’assumer"

Il n’y a pas d’illusion en soi, mais seulement des êtres qui s’illusionnent et qui veulent encore y croire.

(…) Est-ce nous qui faisons nos pensées, ou bien est-ce nos pensées qui nous font ? Nous suivons nos pensées et les défendons sans savoir réellement d’où elles viennent. Ne plus être victime, mais être sujet et responsable de son illusion, en fait c’est plutôt bien et plutôt un avantage. Cela signifie que tout est entre nos mains et qu’il n’y a personne, aucun pouvoir tyrannique extérieur dont nous dépendons.

Si nous avons la faculté de nous illusionner, alors, nous avons aussi celle de nous désillusionner, ou plus simplement, de cesser de produire de l’illusion. Nous sommes le grand créateur de tout ceci. Comme un comédien, nous jouons un rôle avec lequel nous nous confondons et lorsque nous regardons dans le miroir, nous ne voyons plus que le masque qui dissimule notre vrai visage et nous nous prenons toujours pour un autre. Pouvons-nous remettre en question ce jeu, tous les jeux ? Il n’y a pas d’illusion en soi, mais seulement des êtres qui s’illusionnent et qui veulent encore y croire.

Ce n’est pas nous qui nous éveillons, c’est l’éveil qui nous illumine. Juste avant qu’il n’arrive, nous pensions avoir compris et accompli une part du chemin, avoir saisi une partie de la vérité et finalement nous réalisons que tout cela appartenait au rêve et qu’aucun éveil n’avait pris place. Du point de vue de l’illusion nous espérons toujours que « quelque chose » se produise, mais à l’instant de l’éveil, nous ne faisons que pleinement reconnaître ce qui a toujours été là. L’éveil était déjà là, dans cet instant, inséparable de nous. Bien que cette réalisation nous libère, la liberté n’est pas une chose nouvelle. (…)






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