Les autobiographies ne sont que mensonges, dit U. G. (Uppaluri Gopala Krishnamurti, 9 juillet 1918 - 22 mars 2007). Les biographies sont doublement mensongères, parce que la biographie et son auteur mentent tous les deux. Tout ce que je pourrais dire sur ma vie passée est forcément déformé par ma condition présente. Ceci dit, je suis un analphabète qui ne sait ni lire ni écrire.
Source : Les deux océans.
Bibliographie en français (transcription d'entretiens) :
- Rencontre avec un éveillé contestataire, Ed. Les deux océans, Paris, 1986.
- Le mental est un mythe. Ed. Les deux océans, Paris, 1988.
- La pensée est votre ennemie. Ed Les deux océans, Paris, 1990.
- Le dos au mur. Ed Les deux océans, Paris, 1998.
- Coloquintessence. Ed. Les deux océans, Paris, 1993.
- Impertinentes pertinences, par Charles Antoni. Ed. Originel, Paris, 1999.
Les deux océans.
Sites (en anglais) :
U.G.Krishnamurti / http://www.ugkrishnamurti.org/
La "calamité" de U.G. :
Comme un feu qui couve, je portais en moi cette question toujours renouvelée : « Quel est cet état ? Je le veux. C’est fini, pourtant Krishnamurti m’a dit : « Vous n’avez aucun moyen de le savoir…». Malgré tout je veux absolument savoir quel est cet état, celui dans lequel vivait Bouddha, Sankara et bien d’autres instructeurs. »
Puis en juillet 1967, j’ai traversé une nouvelle phase. De retour à Saanen, Krishnamurti donnait ses conférences. Mes amis m’y entraînèrent : « Cette fois au moins c’est gratuit ! Pourquoi ne viendrais-tu pas l’écouter ? » « D’accord, j’irai. » Et tandis qu’effectivement je l’écoutais, il se produisit une drôle de chose — l’impression curieuse qu’il décrivait mon état et non le sien. (Pourquoi du reste aurais-je voulu connaître son état ?) Il décrivait certains mouvements, une certaine qualité de conscience et de silence. Il disait : « Dans ce silence, il n’y a pas de mental, il y a action », et ainsi de suite. « Mais, me dis-je, je suis dans cet état ! A quoi ai-je passé mon temps durant ces trente ou quarante années ? A écouter tous ces gens, à me mettre moi-même au défi, à vouloir à tout prix comprendre, son état et celui des autres, Bouddha ou Jésus ! Je suis dans cet état. A l’instant même, je suis dans cet état. » Aussitôt je quittai la tente sans plus jamais revenir en arrière.
Alors, très curieusement, la question « Quel est cet état ? » se mua en une autre : « Comment sais-je que je me trouve dans cet état, l’état de Bouddha, l’état que j’ai tant souhaité et que j’ai recherché un peu partout ? Je me trouve dans cet état, comment se fait-il que je le sais ? »
Le jour suivant (jour de mon 49e anniversaire), j’étais assis sur un banc à l’abri d’un arbre, devant l’un des plus beaux paysages qui soit au monde : les sept collines et les sept vallées de la région de Saanen. J’étais assis là. Ce n’est pas que la question était présente, mon être entier était la question. Je m’observais moi-même et je me disais : « Comment sais-je que je suis dans cet état ? En quelque sorte, je me divise intérieurement ; il y a en moi quelqu’un qui sait que je suis dans cet état. La connaissance de cet état – à savoir, ce que j’ai lu, ce que j’ai expérimenté, ce dont on m’a parlé –, c’est cette connaissance elle-même qui observe cet état, et c’est donc elle qui l’a projeté. Alors je me dis : « Trêve de plaisanteries, mon vieux ! Depuis quarante ans tu n’as pas avancé, tu n’as pas quitté la case de départ. La question qui te préoccupe relève encore et toujours du jeu des projections du mental. Ta position n’a pas changé et la question “Comment sais-je…?” participe du même jeu. Car c’est le mental, la description fournie de l’extérieur par toute une horde de gens, qui crée cet état de toutes pièces. Tu te fais des illusions. Tu es un beau crétin. » En un sens, je n’avais pas avancé d’un pouce, mais je gardais le sentiment étrange que c’était bien cet état.
La question me harcelait sans cesse. Puis, soudain, elle disparut. Il ne se produisit rien de spécial : la question disparut, tout simplement. Je ne me suis pas dit : « Oh ! Mon Dieu ! Cette fois je tiens la réponse ». L’état lui-même disparut – l’état où je croyais être, l’état de Bouddha, de Jésus… Même cet état avait disparu. La question ne se posait plus. J’en ai fini avec tout cela. Fini, terminé ! Depuis lors, il ne m’est plus jamais arrivé de me dire : « Désormais j’ai la réponse à toutes ces questions ». L’état, qui avait suscité la pensée : « Tiens ! Voilà cet état » – cet état avait disparu. La question avait disparu. C’en était fini, voyez-vous. Il ne s’agit pas de vacuité, pas de néant, pas de vide. Rien de cet acabit. Tout d’un coup, la question n’avait plus eu cours. Point final.
Alors la pensée ne peut plus établir de liaisons. L’enchaînement est rompu et la rupture est définitive. L’explosion de la pensée ne se produit pas une seule et unique fois. Chaque fois qu’une pensée surgit, elle se disloque. Ainsi la continuité prend fin et la pensée retombe dans son rythme naturel.
[…]
Ma tête, me semblait-il, était devenue si compacte qu’elle n’offrait plus aucune place aux interrogations superflues. Pour la première fois je prenais conscience de mon crâne comme d’une boîte close. Sans doute, certaines résurgences du passé (des “vasanas”… mais le mot utilisé importe peu) essayent bien parfois de montrer le bout du nez, mais le cerveau est si dense et compact qu’il ne laisse plus de place aux divagations. La division ne peut plus s’installer : c’est une impossibilité physique à laquelle vous ne pouvez rien changer. C’est pourquoi je dis que lorsque cette « explosion » se produit (j’emploie ce mot parce qu’il s’agit d’une sorte d’explosion nucléaire), elle laisse derrière elle des réactions en chaîne. Dans chacune des cellules de votre corps, jusqu’à la moelle des os, vous êtes atteint par ce « changement ». Je n’aime pas utiliser ce mot, et pourtant il s’agit bien d’un changement, et d’un changement irréversible. Impossible de revenir en arrière. Pour l’homme qui est passé par là, il n’est pas de « rechute » possible ; c’est irréversible : il s’est accompli une sorte de processus alchimique.
Je le répète : on dirait une explosion atomique, et tout votre corps vole en éclats. Ce moment est bien difficile à vivre, et c’est la fin de l’être humain. Une telle déflagration réduit le corps à néant, jusqu’à la dernière cellule, jusqu’au dernier nerf. J’ai subi alors de terribles tortures physiques. En fait, vous ne pouvez pas faire l’expérience de l’explosion, elle-même, mais seulement de ses ondes de choc secondaires, des « retombées ». Toute la chimie de votre corps s’en trouve modifiée.
Vous venez de dire que des modifications chimiques s’étaient produites en vous. Comment le savez-vous ? Avez-vous jamais été examiné ou bien s’agit-il d’une déduction ?
Il y a les effets de l’explosion, la manière dont mes sens fonctionnent maintenant, en l’absence d’élément coordinateur, sans raccord central. C’est tout ce que je peux vous dire. Une chose encore : la chimie de l’organisme a changé. Qu’est-ce qui permet de l’affirmer ? En l’absence d’une telle alchimie ou révolution physiologique, il n’y a aucun moyen de libérer l’organisme de la pensée et de sa continuité. Cette continuité n’existant plus, vous êtes en droit d’affirmer qu’il s’est produit quelque chose. Mais quoi, au juste ? Et comment exprimer ce qui échappe à l’expérience ?
Source : http://www.revue3emillenaire.com/http://consciencesansobjet.blogspot.fr/2010/07/ug-krishnamurti.html