Après une quête intensive et un long parcours dans le domaine des thérapies et du développement personnel, Darpan découvre qu’il ne s’agit pas d’accéder à un bonheur par-dessus nos complications et nos accumulations douloureuses, mais bien d’exposer ces dernières et de les dissoudre pour permettre à notre plénitude de se déployer.
« La joie n’est joie que sur fond de souffrances, l’amour n’est amour que sur fond de peines ».
Le fait d’être m’a toujours intrigué. Très jeune déjà, cette conscience m’interpellait et j’éprouvais quelque frustration à ne pouvoir la cerner et encore moins à l’expliquer. Je me tenais devant l’évidence d’être comme on se tient devant son miroir. J’ETAIS ! Une réalité indéniable. Quelle étrange et mystérieuse affaire… Personne ne semblait s’y intéresser. J’observais les gens vaquer à leurs occupations comme si le fait d’être était pris pour acquis et ne méritait guère qu’on y prête attention, la question étant laissée aux philosophes et à la religion…
Lorsque je fus happé par les exigences intellectuelles de l’école, l’évidence d’être perdit sa fraicheur, reléguée à l’arrière-plan, cédant la place au mental et au développement d’une personne amenée à faire sa place dans le monde. Bien que recélant une énigme insondable, ma présence m’apparut de plus en plus « plate » et « fade » si bien que je me demandais souvent s’il n’y avait que « ça », peinant à faire sens de mon existence et à trouver une voie qui reflète un tant soit peu le mystère qui m’habitait.
« Être » ne suffisait pas à mon bonheur ; j’en voulais davantage ! J’aspirais à quelque chose de plus grand, de plus beau et de plus intense, pressentant que la réalité de l’être, occultée par le formidable aimant du monde et par quelques barrières invisibles, n’avait pas encore livrée tous ses secrets. À cette époque j’étudiais le chinois et le japonais à l’Université de Genève, avec le souhait de me rapprocher des philosophies orientales et du Taoïsme… En vain. Je me remplissais d’une connaissance desséchée qui m’encombrait plus qu’elle ne me libérait, alors que j’avais soif d’une réponse vivante !
Mon aspiration prit corps au contact du mystique Osho et trouva enfin un objet : l’Eveil ! Dès lors, ma vie s’organisa dans le sens de cette recherche et je me mis assidument à la poursuite de « l’illumination », explorant les extrêmes, pensant naïvement que je parviendrais à découvrir, sans savoir ni où ni comment, un trésor caché et à regagner un paradis perdu qui effacerait à tout jamais mes tourments.
Passionné par ce nouveau champ d’exploration, je cultivais en secret l’espoir de m’élever dans la dimension « divine » pour accéder à un bonheur suprême. Ma recherche satisfaisait à mes besoins en me nourrissant d’aventures, de rencontres, d’expériences insolites et palpitantes. Je partageais mon temps entre la nécessité de gagner ma vie, m’efforçant d’évoluer professionnellement, tout en répondant à un impératif intérieur qui me poussait en avant, toujours plus loin, dans la quête de réponses, d’expériences et de compréhension.
La spiritualité, telle que je me l’imaginais, se confondait alors avec la thérapie et le développement personnel, les frontières étant parfois floues. Je marchais à tâtons, soulevant chaque pierre, avide de nouvelles sensations et porté par l’espoir de pouvoir enfin gommer mes faiblesses et mes meurtrissures sans me douter que le moteur de ma quête puisait sa force dans le désir d’échapper à mes peurs et à mes peines…
La quête s’est progressivement essoufflée puis enlisée. Je n’allais nulle part. Rattrapé par mes ombres, je me tenais devant mes failles, mes manques et mes douleurs, dépouillé du verni des enthousiasmes que je m’étais plu à considérer comme des élans « divins »… J’avais lu et écouté les maîtres mais je ne les avais pas entendus, manipulant leur vérité à mes mensonges, détournant leurs enseignements au profit de la personne que je pensais être, m’efforçant de l’embellir et de la rendre plus « spirituelle ». L’échec était cuisant et je prenais de l’âge. Qu’avais-je fait de ma vie ?
Au bord de l’épuisement, désespéré et désillusionné, je commençais à me demander si l’Eveil existait vraiment ou si je ne m’étais pas laissé embarquer dans une monstrueuse arnaque « spirituelle » ! Après avoir investi tant de temps, d’argent et d’énergie à rechercher « l’illumination », l’idée d’avoir parcouru ce chemin en vain m’était insupportable. Puis, j’ai rencontré ma future épouse et Barry Long, un maître spirituel de l’Occident, des rencontres essentielles qui changèrent le cours de ma vie. Barry, d’abord, pour m’avoir ramené « sur Terre » et dans le corps, m’apprenant à souffrir utilement et intelligemment en cessant de fuir et de lutter contre ce que je n’acceptais pas en moi-même (et de moi-même). Ma compagne ensuite pour avoir partagé cet enseignement et l’avoir mis en pratique au quotidien, dans notre couple, en exposant et en examinant toutes les ombres susceptibles d’occulter ou d’entamer l’amour que nous n’avons jamais cessé d’éprouver l’un pour l’autre.
À l’image d’une vitre recouverte de nombreux films opaques, il m’a fallu du temps pour me détacher des illusions et des identifications qui obscurcissaient la perception claire et directe de ma vraie nature, de cette « qualité d’être » qui n’avait jamais cessé de me « hanter ». J’ai compris alors que le corps était la porte d’entrée et qu’il était indispensable de déjouer mes résistances pour SENTIR et accueillir tout ce que ma vie intérieure livrait à ma perception. Cette nouvelle disposition m’engagea dans une dynamique particulièrement exigeante, décrite, pas à pas, dans un livre intitulé : « l’Aventure intérieure ».
Dans ce qu’il y a lieu de décrire comme une « première phase », j’ai appris à identifier et à comprendre le fonctionnement de mes résistances (l’ego). J’ai pris conscience des manœuvres me permettant d’éviter toute confrontation avec la peur et la douleur, jusqu’à ce que je sois en mesure de lâcher prise et d’accueillir ce qui remontait à la surface de ma perception. Les blessures du passé se sont ainsi délogées de ma chair, affranchies de mes luttes et de mes esquives, pour être consciemment accueillies dans mon ressenti et finalement acceptées. C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point elles avaient entravée et gâché ma vie, et surtout combien j’avais souffert de les avoir gardées en moi aussi longtemps !
La deuxième étape fut marquée par l’entrée dans le vide de moi-même, au cœur d’une « déficience d’âme » qu’il m’a fallu traverser comme un désert. Au fur et à mesure de ma progression, des couches de peine plus subtiles et plus profondes ont émergé, dévoilant des aspects oubliés et parfois très anciens de mon histoire personnelle. La personne que je pensais être commença alors à se vider de ses contenus et à imploser, ouvrant une brèche à un feu invisible, de nature psychique, mais néanmoins clairement perceptible dans mon corps, et particulièrement irritant pour les pans de mon identité qu’il faisait fondre comme neige au soleil.
Au cours de la troisième phase, les « attaques » de ce feu intérieur se sont intensifiées, réduisant considérablement l’iceberg que j’avais considéré comme mon « moi » solide et irréductible. Après avoir traversé toute l’épaisseur psychique de la personne (l’enfer en moi), je me suis approché de la douleur fondamentale autour de laquelle le soi émotionnel s’était construit et cristallisé. Extrêmement bien protégé par l’ego, acharné à lancer dans la bataille ses meilleures forces, le noyau de peine a finalement cédé sous les assauts de la puissante énergie de la vraie nature et libérant la lie de ma condition humaine.
Il restait encore un dernier obstacle à la réalisation de l’état naturel : la dissolution de ma volonté personnelle ; une phase des plus exigeantes lors de laquelle mes bras de levier cédèrent le pas à une Intelligence Supérieure. Je fus contraint à m’en remettre à plus grand que moi, à travers des effondrements intérieurs déchirants dans lesquels s’engouffrait la puissante énergie de l’être. C’était le moment de la rupture définitive avec la sensation de moi-même, celle qui m’avait accompagné durant des décennies et que j’avais considérée à tort comme ma vraie nature.
La dissolution de ma volonté personnelle acheva de m’extraire du camp retranché du moi et me remis entre les mains d’une Puissance de vie inconcevable. La réalité d’être, affranchie des « enveloppes » qui l’entouraient révéla alors son immensité, sa simplicité et sa profondeur. Dépouillé de ma fausse identité et des filins invisibles qui m’attachaient au corps, aux pensées et aux émotions, je pris alors conscience de ma vraie nature comme un poisson prend conscience de l’eau dans laquelle il nage. Mais contrairement à ce dernier, ma vraie nature n’a jamais été un objet extérieur à moi-même mais l’essence même de ce que je suis et que je n’ai jamais cessé d’être.
Les verrous levés, l’évidence d’être livra enfin le secret d’une conscience reconduite à elle-même. À l’image d’une rivière se jetant dans l’océan, le « je » s’est finalement offert et uni au « suis » révélant dans son effacement la complétude qu’il avait toujours recherchée.
Darpan « l’Aventure intérieure », se libérer de la souffrance et réaliser sa vraie nature. (Editions du nouvel Homme, 2010)
http://www.meditationfrance.com/archive/2012/1201.htm