mercredi 5 février 2014

Darpan


L’éveil d’une autre chair dans sa propre chair

Après une quête intensive et un long parcours dans le domaine des thérapies et du développement personnel, Darpan découvre qu’il ne s’agit pas d’accéder à un bonheur par-dessus nos complications et nos accumulations douloureuses, mais bien d’exposer ces dernières et de les dissoudre pour permettre à notre plénitude de se déployer.

« La joie n’est joie que sur fond de souffrances, l’amour n’est amour que sur fond de peines ».

Le fait d’être m’a toujours intrigué. Très jeune déjà, cette conscience m’interpellait et j’éprouvais quelque frustration à ne pouvoir la cerner et encore moins à l’expliquer. Je me tenais devant l’évidence d’être comme on se tient devant son miroir. J’ETAIS ! Une réalité indéniable. Quelle étrange et mystérieuse affaire… Personne ne semblait s’y intéresser. J’observais les gens vaquer à leurs occupations comme si le fait d’être était pris pour acquis et ne méritait guère qu’on y prête attention, la question étant laissée aux philosophes et à la religion…

Lorsque je fus happé par les exigences intellectuelles de l’école, l’évidence d’être perdit sa fraicheur, reléguée à l’arrière-plan, cédant la place au mental et au développement d’une personne amenée à faire sa place dans le monde. Bien que recélant une énigme insondable, ma présence m’apparut de plus en plus « plate » et « fade » si bien que je me demandais souvent s’il n’y avait que « ça », peinant à faire sens de mon existence et à trouver une voie qui reflète un tant soit peu le mystère qui m’habitait.

« Être » ne suffisait pas à mon bonheur ; j’en voulais davantage ! J’aspirais à quelque chose de plus grand, de plus beau et de plus intense, pressentant que la réalité de l’être, occultée par le formidable aimant du monde et par quelques barrières invisibles, n’avait pas encore livrée tous ses secrets. À cette époque j’étudiais le chinois et le japonais à l’Université de Genève, avec le souhait de me rapprocher des philosophies orientales et du Taoïsme… En vain. Je me remplissais d’une connaissance desséchée qui m’encombrait plus qu’elle ne me libérait, alors que j’avais soif d’une réponse vivante !

Mon aspiration prit corps au contact du mystique Osho et trouva enfin un objet : l’Eveil ! Dès lors, ma vie s’organisa dans le sens de cette recherche et je me mis assidument à la poursuite de « l’illumination », explorant les extrêmes, pensant naïvement que je parviendrais à découvrir, sans savoir ni où ni comment, un trésor caché et à regagner un paradis perdu qui effacerait à tout jamais mes tourments.

Passionné par ce nouveau champ d’exploration, je cultivais en secret l’espoir de m’élever dans la dimension « divine » pour accéder à un bonheur suprême. Ma recherche satisfaisait à mes besoins en me nourrissant d’aventures, de rencontres, d’expériences insolites et palpitantes. Je partageais mon temps entre la nécessité de gagner ma vie, m’efforçant d’évoluer professionnellement, tout en répondant à un impératif intérieur qui me poussait en avant, toujours plus loin, dans la quête de réponses, d’expériences et de compréhension.

La spiritualité, telle que je me l’imaginais, se confondait alors avec la thérapie et le développement personnel, les frontières étant parfois floues. Je marchais à tâtons, soulevant chaque pierre, avide de nouvelles sensations et porté par l’espoir de pouvoir enfin gommer mes faiblesses et mes meurtrissures sans me douter que le moteur de ma quête puisait sa force dans le désir d’échapper à mes peurs et à mes peines…

La quête s’est progressivement essoufflée puis enlisée. Je n’allais nulle part. Rattrapé par mes ombres, je me tenais devant mes failles, mes manques et mes douleurs, dépouillé du verni des enthousiasmes que je m’étais plu à considérer comme des élans « divins »… J’avais lu et écouté les maîtres mais je ne les avais pas entendus, manipulant leur vérité à mes mensonges, détournant leurs enseignements au profit de la personne que je pensais être, m’efforçant de l’embellir et de la rendre plus « spirituelle ». L’échec était cuisant et je prenais de l’âge. Qu’avais-je fait de ma vie ?

Au bord de l’épuisement, désespéré et désillusionné, je commençais à me demander si l’Eveil existait vraiment ou si je ne m’étais pas laissé embarquer dans une monstrueuse arnaque « spirituelle » ! Après avoir investi tant de temps, d’argent et d’énergie à rechercher « l’illumination », l’idée d’avoir parcouru ce chemin en vain m’était insupportable. Puis, j’ai rencontré ma future épouse et Barry Long, un maître spirituel de l’Occident, des rencontres essentielles qui changèrent le cours de ma vie. Barry, d’abord, pour m’avoir ramené « sur Terre » et dans le corps, m’apprenant à souffrir utilement et intelligemment en cessant de fuir et de lutter contre ce que je n’acceptais pas en moi-même (et de moi-même). Ma compagne ensuite pour avoir partagé cet enseignement et l’avoir mis en pratique au quotidien, dans notre couple, en exposant et en examinant toutes les ombres susceptibles d’occulter ou d’entamer l’amour que nous n’avons jamais cessé d’éprouver l’un pour l’autre.

À l’image d’une vitre recouverte de nombreux films opaques, il m’a fallu du temps pour me détacher des illusions et des identifications qui obscurcissaient la perception claire et directe de ma vraie nature, de cette « qualité d’être » qui n’avait jamais cessé de me « hanter ». J’ai compris alors que le corps était la porte d’entrée et qu’il était indispensable de déjouer mes résistances pour SENTIR et accueillir tout ce que ma vie intérieure livrait à ma perception. Cette nouvelle disposition m’engagea dans une dynamique particulièrement exigeante, décrite, pas à pas, dans un livre intitulé : « l’Aventure intérieure ».

Dans ce qu’il y a lieu de décrire comme une « première phase », j’ai appris à identifier et à comprendre le fonctionnement de mes résistances (l’ego). J’ai pris conscience des manœuvres me permettant d’éviter toute confrontation avec la peur et la douleur, jusqu’à ce que je sois en mesure de lâcher prise et d’accueillir ce qui remontait à la surface de ma perception. Les blessures du passé se sont ainsi délogées de ma chair, affranchies de mes luttes et de mes esquives, pour être consciemment accueillies dans mon ressenti et finalement acceptées. C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point elles avaient entravée et gâché ma vie, et surtout combien j’avais souffert de les avoir gardées en moi aussi longtemps !

La deuxième étape fut marquée par l’entrée dans le vide de moi-même, au cœur d’une  « déficience d’âme » qu’il m’a fallu traverser comme un désert. Au fur et à mesure de ma progression, des couches de peine plus subtiles et plus profondes ont émergé, dévoilant des aspects oubliés et parfois très anciens de mon histoire personnelle. La personne que je pensais être commença alors à se vider de ses contenus et à imploser, ouvrant une brèche à un feu invisible, de nature psychique, mais néanmoins clairement perceptible dans mon corps, et particulièrement irritant pour les pans de mon identité qu’il faisait fondre comme neige au soleil.

Au cours de la troisième phase, les « attaques » de ce feu intérieur se sont intensifiées, réduisant considérablement l’iceberg que j’avais considéré comme mon « moi » solide et irréductible. Après avoir traversé toute l’épaisseur psychique de la personne (l’enfer en moi), je me suis approché de la douleur fondamentale autour de laquelle le soi émotionnel s’était construit et cristallisé. Extrêmement bien protégé par l’ego, acharné à lancer dans la bataille ses meilleures forces, le noyau de peine a finalement cédé sous les assauts de la puissante énergie de la vraie nature et libérant la lie de ma condition humaine.

Il restait encore un dernier obstacle à la réalisation de l’état naturel : la dissolution de ma volonté personnelle ; une phase des plus exigeantes lors de laquelle mes bras de levier cédèrent le pas à une Intelligence Supérieure. Je fus contraint à m’en remettre à plus grand que moi, à travers des effondrements intérieurs déchirants dans lesquels s’engouffrait la puissante énergie de l’être. C’était le moment de la rupture définitive avec la sensation de moi-même, celle qui m’avait accompagné durant des décennies et que j’avais considérée à tort comme ma vraie nature.

La dissolution de ma volonté personnelle acheva de m’extraire du camp retranché du moi et me remis entre les mains d’une Puissance de vie inconcevable. La réalité d’être, affranchie des « enveloppes » qui l’entouraient révéla alors son immensité, sa simplicité et sa profondeur. Dépouillé de ma fausse identité et des filins invisibles qui m’attachaient au corps, aux pensées et aux émotions, je pris alors conscience de ma vraie nature comme un poisson prend conscience de l’eau dans laquelle il nage. Mais contrairement à ce dernier, ma vraie nature n’a jamais été un objet extérieur à moi-même mais l’essence même de ce que je suis et que je n’ai jamais cessé d’être.

Les verrous levés, l’évidence d’être livra enfin le secret d’une conscience reconduite à elle-même. À l’image d’une rivière se jetant dans l’océan, le « je » s’est finalement offert et uni au « suis » révélant dans son effacement la  complétude qu’il avait toujours recherchée.

Darpan « l’Aventure intérieure », se libérer de la souffrance et réaliser sa vraie nature. (Editions du nouvel Homme, 2010)


http://www.meditationfrance.com/archive/2012/1201.htm

dimanche 2 février 2014

Maria Saboya


Pour Maria Saboya, l’éveil décisif remonte à sa plus tendre enfance. Plus tard, vers l’âge de 16 ans, elle découvre son amour pour la musique et commence sa recherche spirituelle qui lui fera prendre connaissance des grandes religions mais aussi des enseignements de Ramakrishna, Sainte Thérèse d’Avila, Krishnamurti autant que de la pensée de C.G. Jung.

Je me suis éveillée à l’âge de 5 ans. Ce fut à la suite d’un épisode de ma vie, d’apparence tout à fait banale mais qui, chez moi, déclencha une terrible secousse.

Ma grand-mère était une artiste peintre distinguée qui s’intéressa particulièrement à mon éducation artistique. C’est elle qui me guida vers la musique et c’est encore elle qui me poussa à faire un dessin et à l’envoyer au Concours Walt Disney. Quelques mois plus tard, j’appris que j’avais été reçue première pour mon dessin qui, apparemment, était extraordinaire et révélait une grande maturité.

Dans le petit monde de mon enfance, je crois que je n’avais pas encore pris conscience d’exister. Je vivais, tout simplement, dans ma réalité enfantine. Un jour, ma mère m’a endimanchée et accompagnée à la rédaction d’un journal important de Rio, ma ville natale. C’était pour recevoir mon prix et les compliments des organisateurs.

Une fois arrivées au journal, nous avons été entraînées dans une espèce de tourbillon. On me questionna, on me fit des compliments, on vint me regarder de près, on m’assaillit de partout.

Le lendemain, je vis ma propre photo dans les journaux et mon nom imprimé en grand sur la première page. Le soir on fit une grande fête à la maison pour célébrer mon succès. Il y eut beaucoup d’amis et de gens de la famille. On mangea, on but, on rit bruyamment.

A un certain moment, j’ai eu un intense désir de sortir, de m’évader de tout cela. Je suis allée au jardin. La nuit était déjà tombée, et des étoiles très brillantes scintillaient dans la profondeur de ce ciel tropical. Le silence extérieur m’a enveloppée de calme et m’a apaisée. Je me suis assise dans un coin ombrageux et me suis laissée aller dans la contemplation des étoiles. La beauté de la nuit était immesurable et je me suis perdue dans sa contemplation.

Plus tard, de retour à la maison, le fait de me sentir étrangère à tout ce qui se passait dans la maison m’a choquée. Je regardais mes propres parents comme des étrangers, des inconnus.

Ce choc m’a fait découvrir la différence entre le faux et le réel, puisque l’exagération du sensationnalisme journalistique était si criante, si aberrante, que ma sensibilité enfantine n’avait pu manquer de s’en rendre compte.

L’enfance se berce dans l’innocence du réel.

En même temps, je découvris une profondeur en moi, un sentiment d’intégrité dont je n’avais pas conscience auparavant. J’ai eu l’impression que mon être entier criait « Non ! » à ce tourbillon des voix qu s’étaient élevées pour fêter nuisiblement, avec une joie démesurée et absurde, mon premier prix de dessin. Pourquoi fêter tellement un petit dessin ? Tout cela me laissait voir l’irrationalité d’une société que je venais juste de découvrir. Mon esprit a été profondément marqué par cette expérience qui m’a façonnée.

Maria Saboya, L’art de vivre en entier, Les Deux Océans, 1999, pp. 9-10.


http://www.revue3emillenaire.com/temoins-deveil/item/165-maria-saboya-l%E2%80%99innocence-du-r%C3%A9el.html





La différentiation crée l'illusion du moi séparé qui se croit unique, le fruit exclusif de son histoire. Cette illusion conditionne la conscience donnant naissance à la pluralité et au conflit.La conscience unifiée, c'est-à-dire la conscience de l'« un » non différencié, ne se laisse pas attraper dans les limites du moi séparé et des illusions d'un temps présent unique. C'est la conscience conditionnée du moi séparé qui croit à la souveraineté du temps présent unique : c'est elle qui crée l'avenir et se laisse cloisonner derrière les murs de sa propre limitation. Cette conscience crée la confusion tout en croyant qu'elle possède la Vérité.
La conscience unifiée est la seule qui peut comprendre absolument la réalité. La conscience qui s'est unifiée intérieurement est aussi unifiée extérieurement. Elle n'est plus, donc, dans un état de conflit. D'autre part, l'unification intérieure donne naissance à une réelle indépendance ; elle représente le début de l'existence individuelle authentique, puisque libérée de toute influence.Cette unification se fait de soi, sans l'intervention de la volonté consciente. Son arrivée à l'existence est la conséquence directe de la compréhension claire et nette de l'unité de la vie.
La conscience de « l'un » c'est l'union parfaite dans la séparation, c'est l'union parfaite dans la différenciation, c'est la vraie entente. On peut l'appeler « amour » si on veut, puisque c'est le partage intérieur de la vision de la réalité au même niveau et avec la même intensité.On peut l'exprimer de cette manière : « Je suis toi et tu es moi, et pourtant, j'ai ma propre conscience et toi la tienne ». Le « un » s'est multiplié tout en restant « un », soi-même, toujours.

Le moi est une particule de la vie, un fragment de la totalité qui se considère comme le centre de l'existence. Il est fragment de temps qui se confond avec la totalité de l'existence. Cette question est de la plus grande importance, car sa réponse peut nous conduire vers la libération. Elle peut promouvoir l'éclosion de l'ouverture par laquelle on peut, enfin, entrer en contact avec une réalité non temporelle.

Continuons donc cet examen. L'esprit du fragment X (le « moi » si l'on veut), qui s'est constitué comme centre de l'existence et qui s'est identifié à ce fragment dans le temps et dans l'espace, a peur de disparaître. Il croit que la fin du fragment correspond à la fin de la vie, à sa propre mort. Comme personne ne veut mourir, son investigation est bloquée et se termine là. Il choisit de s'attacher à une croyance extérieure à lui et sa recherche est archivée. Il s'arrête avant d'arriver au but.

Cependant, la fin du fragment n'est que la fin d'une image. L'esprit voit l'image du corps, s'identifie avec cette image unique, avec l'histoire particulière de cette image dans le temps et dans l'espace et croit vraiment qu'il est l'image qu'il s'est fait de lui-même.
Dominé par cette croyance, le seul moyen pour lui de se libérer de la prison dans laquelle il s'est enfermé, sera par le démantèlement des murs de sa cellule. Le fragment de vie centralisé autour de lui-même s'est constitué prisonnier. Il lui reste, donc, à sortir de cette enclave. Mais cette œuvre monumentale n'est pas facile puisqu'elle demande énormément de courage et l'application totale de l'être jour après jour.
 

Extraits de « L'Art de vivre en entier » - Maria Saboya 

 http://ophoemon.blogspot.fr/2009/01/morceaux-choisis-maria-saboya.html