Betty vit au Québec et jusqu’en Octobre 2008, malgré un questionnement existentiel et quelques recherches pour tenter de trouver des réponses, elle n’avait suivi aucun enseignement spirituel, aucun maître, aucune religion ni aucune philosophie particulière. L’éveil spontané qu’elle a alors connu fut pour elle un bouleversement complet de son existence. Depuis lors, Betty écrit, tient un blog et donne des conférences.
St. Jean sur Richelieu 6 octobre 2008, le basculement.
Il est cinq heures du matin le 6 octobre 2008. Je dors profondément dans mon appartement de St. Jean sur Richelieu en grande banlieue de Montréal, au Québec. Je dors, mais parallèlement je vis un bouleversement monumental. À l’accoutumée et depuis ma plus tendre enfance, ma phase de réveil matinal se produit en deux temps. Premièrement, je prends conscience de mon environnement de l’intérieur puis je demande à mon corps de s’activer, de se réveiller. Le tout se succède en quelques secondes, je passe chaque matin par ces deux phases de démarrage selon un mécanisme bien huilé faisant partie de moi et je suis complètement à l’aise avec ce processus.
Mais ce matin tout va de travers. Mon processus de réveil ne répond plus, j’essaie de prendre conscience de mon environnement de l’intérieur et de réveiller mon corps, mais quelque chose me garde à l’intérieur, quelque chose empêche le réveil du corps. Pourtant je suis en pleine lucidité, je suis consciente, mais je n’arrive pas à ouvrir les yeux, je sens un grand malaise, comme si j’étouffais. « Ça y est », me dis-je, « je suis en train de mourir, je manque d’air, je fais une crise cardiaque ». Je suis à la veille de trépasser, mais je ne ressens aucune panique, je suis capable d’en mesurer l’intensité, j’accepte ça calmement et je laisse aller. Je me laisse glisser et j’abandonne sans remords tout ce qui a été ma vie, mon corps, tout ce qui était Betty.
J’ai senti comme un grand remous qui partait des pieds pour arriver à la tête, c’était le constat d’un processus qui s’installait, une invitation à sortir de mon corps, à l’abandonner, j’étais prête à le faire et je reconnaissais ça froidement comme la venue de la mort.
Cela faisait déjà un mois que j’étais dans cet état d’esprit, je regardais les choses se produire autour de moi et j’avais la volonté de ne pas agir, je laissais faire, j’étais prête à accepter tout tel quel, cela n’avait pas d’importance, c’était comme un raz le bol général, je ne me sentais pas concernée par quoi que ce soit.
Je commençais à constater que je m’étais trompée sur moi-même, je me disais : « ça ne marche pas mon histoire, c’est quoi la suite, rien ne fonctionne, mais je m’en fiche et ce qui se passera ensuite n’a pas d’importance ». J’étais dans une attitude d’acceptation totale, stressée, extrêmement fatiguée et j’avais sans arrêt des sensations d’étouffement, comme si je subissais une pression à la base du cou juste en dessus du sternum.
À l’instant où je me laisse glisser, je me retrouve debout à côté de mon lit à regarder mon corps souffrir. Il a des convulsions et je me dis : « ce n’est pas possible de souffrir comme ça », je constate cette chose qui tressaute et souffre à côté de moi, mais je ne m’assimile pas à ça, je n’ai aucune émotion, je regarde simplement.
Alors voilà, c’est simple je suis en train de mourir et je l’accepte sans panique, je me laisse aller dans la mort d’une manière sereine, pas de lutte, pas de protestation, rien, seulement l’observation d’une situation. « Allons-y ! Je suis prête ».
Le décor change brusquement. J’observe deux moi-même se faisant face autour de la table de la salle à manger, l’un est debout, l’autre assis.
Je résume : il y a mon corps qui est allongé dans mon lit et qui souffre, il y a un premier moi qui observe ce corps et qui en même temps regarde deux autres moi qui se font face dans la salle à manger. Nous sommes quatre à intervenir en même temps, un moi qui joue le rôle de pivot et qui perçoit, un corps qui souffre, un moi qui est toute émotion et un moi qui est rationnel et autoritaire, et le tout dans une perception globale, le tout faisant partie de moi. Ce n’est pas un observateur qui prend de la distance, non, tout est inclus et en même temps distinct et identifiable.
Le moi émotif et le moi rationnel étaient les deux facettes de ma personnalité depuis toujours. Quand le moi émotif souffrait trop, qu’il y avait danger d’anéantissement en regard des épreuves subies, le moi rationnel prenait les choses en main, effectuait les changements de cap pour que tout redevienne supportable, jusqu’à la prochaine crise du moi émotif, et à nouveau le moi rationnel entrait en jeu pour faire les changements, les ruptures nécessaires et remettre tout en ordre. J’ai fait ça toute ma vie : « tu souffres et il y a danger de déséquilibre, on va changer d’environnement, on va changer d’espace, de métier, d’amis, etc. ».
Quand je parle de souffrance et de danger de déséquilibre, je parle d’évènements qui auraient pu me déstabiliser au point que je devienne non fonctionnelle, au point que j’aie à être enfermée en institut. Toute ma vie jusqu’au basculement je suis restée sur cette ligne, en équilibre entre mes mondes et ce qu’on pourrait appeler la raison.
Le moi pivot regarde le moi émotif et constate une grande concentration de douleur, le moi émotif se plaint : « je n’en peux plus de toujours chercher à savoir qui je suis et à ne jamais réussir ». Beaucoup de larmes, une douleur intolérable. « Je suis seule, personne ne s’est occupé de moi, l’enfance a été difficile pour moi, mais j’ai survécu et ça continue encore cet emprisonnement malgré mon acharnement à vouloir me sortir de là, je ne réussirai jamais ! »
Il y a beaucoup d’émotions et de sincérité dans ce constat, j’avais cherché honnêtement qui j’étais, j’avais tout essayé et rien ne marchait, je me sentais complètement vide, j’avais une grosse sensation de stress, une sensation de douleur immense, d’étouffement à la base du cou. J’avais essayé de par mes lectures et mes recherches ésotériques à guérir les souffrances de la petite fille pieuse qui m’habitait depuis toujours, à comprendre pourquoi je vivais dans plusieurs mondes à la fois. Mais c’était le constat d’échec. C’était l’ultime épuisement.
Le moi rationnel debout en face, à l’autre bout de la table, pointe du doigt le moi émotif et lui dit : « Tais-toi, arrête de te plaindre ça suffit ! ». Il avance en le menaçant. Il y a de l’exaspération presque de la violence dans sa voix; c’est un ordre.
Le moi rationnel, c’était la partie de moi qui trouvait des solutions, le combattant qui se ressaisissait en deux secondes. Déjà, étant petite, quand j’étais malheureuse, c’était celui qui érigeait les barrières, qui me construisait un sanctuaire intérieur où rien ni personne ne pouvait m’atteindre. C’était mon mécanisme de survie qui me disait, quand c’était trop douloureux : « on s’en va, on ne reste pas là, c’est dangereux pour toi ».
À ce stade, je voyais tout mon système fonctionner, tout était moi, mais découpé de manière à ce que je comprenne qui j’étais, comment ces mécanismes se mettaient en place et cette perception totale était complètement nouvelle pour moi.
Le moi pivot regarde le corps s’agiter douloureusement et se dit : « ça y est, le corps va mourir, il ne va pas supporter cette expérience » et curieusement, ne se sent pas concerné.
Le moi émotif est épuisé, poussé à bout, sans force, sans réaction, l’élastique qui lui permet de revenir au calme est tendu au maximum, près de la rupture, il est au bord de la perte de contrôle. Il est tellement terrorisé par les ordres donnés par le moi rationnel qu’il se met à rapetisser, j’ai la sensation que mon corps diminue et je perçois mon incapacité à réagir.
Maintenant mon corps ne mesure plus qu’environ six pouces (20 centimètres), il n’a plus de force, devient comme de la gélatine, tombe par terre, et se frappe le visage contre le plancher de bois. J’entends le bruit de la tête qui frappe le sol dans un son mat.
Je sais que le moi émotif est allé trop loin, qu’il n’y a aucune solution pour revenir en arrière et reprendre mon mécanisme de survie, tout va se casser. Le moi rationnel a dit au moi émotif : « meurs, je ne veux plus te voir, je ne suis plus capable de te supporter ». À ce stade le moi émotif disparaît et la sensation de rétrécissement du corps est extrêmement douloureuse, le moi rationnel est en train de tuer le moi émotif, c’est infernal à supporter.
J’abandonne, je dépose les armes, sachant que c’est la fin, je sens la mort m’envahir. C’est la deuxième sensation de mort, la première était uniquement physique, alors que celle-ci est émotive. C’est la personne qui souffrait, qui voulait diriger, qui voulait survivre à tout prix et qui ne s’en laissait imposer d’aucune manière qui trépasse. C’est celle qui passait des marchés avec Dieu. En même temps mourrait aussi la petite fille pieuse qui n’aspirait qu’à la paix, la partie intouchable, la partie que je préservais de moi-même et que personne ne pouvait atteindre.
Je viens de me suicider à moi-même, plus de retour en arrière possible, mon corps devient de plus en plus petit, devient comme de la gélatine et ma tête frappe le sol dans un bruit sourd et mat, comme deux camions qui se rentrent dedans en collision frontale, le moi émotif est dissout, il entraîne le moi rationnel, tout le système est cassé, je ne suis plus.
Quand je parle de la mort de la petite fille pieuse, c’est la mort de ce qu’il y a de plus intime, de plus authentique en moi-même, c’est mon dernier rempart, ma dernière défense.
Je sens que je me dissous, c’est le dernier souffle de Betty, j’abandonne totalement et je me dis: « c’est la fin ! » Je me sens lourdement écrasée.
C’est la fin de ma personnalité, de mon moi, du centre que je pensais être.
Et là tout bascule, il n’y a plus de moi émotif, plus de moi rationnel, plus de corps qui souffre, juste une conscience totale.
Je marche dans le salon et j’étouffe de joie, je crie : « je suis cette joie ». J’ai de la difficulté à contenir cet état merveilleux. Je regarde à l’extérieur et je ressens l’univers, la lumière me pénètre. Je suis ce que je vois mais aussi je suis l’air que je respire.
Là j’ai conscience que ce que je ressens est énorme, à la limite du supportable, c’est un peu comme quand on prend une bouffée d’air trop frais, mais là c’est amplifié mille fois et ça n’arrête pas et je crie : « je suis cette joie, je suis ce que je vois, je suis l’air que je respire, je suis la vie qui est en mouvement, je suis ce courant » et je ne puis rester en place. Quand je dis « je ressens l’univers », cela veut dire que rien n’est différent de moi, je fais l’expérience de l’unité, tout ce que je vois c’est moi, tout est plein, tout ce qui est vibration n’est plus à l’extérieur, c’est moi.
Je marche, je suis en mouvement comme ce flot qui me traverse, je ne peux pas rester en place.
C’est paradoxal à expliquer, tout est en mouvement, je suis le tout, mais tout est calme et en paix, rien ne me perturbe.
Je prends conscience que je ne suis plus un corps, je ne suis plus cette enveloppe limitée, mon petit corps de rien ne peut pas contenir cette énergie phénoménale. Voilà pourquoi je bouge, pourquoi je suis en mouvement, c’est trop puissant pour que je puisse rester en place, je constate que je ne pourrais pas garder cette énergie à l’intérieur de mon corps, tout va exploser.
Maintenant je vois mon corps âgé d’environ 30 ans, habillé décontracté en jeans, assis sur une petite chaise d’école, la tête penchée sur le côté droit. Il a les yeux ouverts, mais ils sont sans vie, comme les yeux vitreux d’un mort, il est moins vivant qu’une plante.
C’est comme si je contemplais une statue de moi-même. Heureusement qu’il est calé sur une chaise, parce que sans ça, il tomberait, il ne peut rien faire de lui-même.
Je m’adresse à lui en disant : « je suis tellement contente de te voir, je suis tellement contente de ne plus être associé à toi, tellement contente de ne plus être responsable de toi. » Je m’avance vers mon corps et je le touche, je sens qu’il est vivant, qu’il fonctionne, mais je ne suis plus associé à lui, je le vois mais ce n’est plus moi. Je constate que je me suis trompé sur moi-même, je pensais que j’étais ce corps duquel tout partait, chaque pensée, chaque action, mais ce n’était pas vrai, c’était un robot que je programmais au gré de mes pensées.
Il est étonnant pour moi de constater comment cette créature est à l’extérieur de moi, comme si j’étais sorti d’une espèce de robot. Je comprends parfaitement sa fonction.
En l’espace d’une seconde, je fais le tour de la situation. Je suis consciente de mon corps allongé dans mon lit qui tressaute et souffre, je suis consciente du moi rationnel et du moi émotif, mais je ne suis plus ça, le moi pivot a émergé et s’est transformé en cette vaste conscience, la perception est directe, pas de pensées pour classifier le tout, et, directement, je constate que je ne peux pas supporter ça et je hurle : » Ah ! Ah ! Ah ! Ah !!! « , je suis ce cri, je ne suis pas mon corps hurlant de terreur, je suis le cri dans toute son amplitude, dans toute sa vibration.
Ce que je vous dis c’est que je suis la voix, je suis la totalité de ce qui m’entoure, je n’ai pas de limite, si je dirige ma conscience sur quelque chose, je suis cette chose, je suis unie à tout. C’est irréversible, l’ancienne Betty n’existe plus, mon ancien mode de fonctionnement s’est éteint et je suis en train d’expérimenter quelque chose de radicalement nouveau. Par ce cri, l’ancien mécanisme a essayé de se réanimer, mais plus rien ne marche, mon ancien système de pensée est cassé à jamais.
Je regarde de nouveau mon corps sur la chaise, je constate qu’il est inerte, qu’il ne fait rien de lui même et je vois à quel point la folie nous pousse à torturer cette chose au gré de nos hallucinations, au gré de nos constructions mentales. Le corps est neutre, il n’a pas d’état d’âme et je ne suis pas un corps je suis le tout et j’en suis intégralement consciente depuis les trois cent soixante degrés de mon nouveau champ de vision.
Je constate comment je projetais tous mes états d’âme sur ce corps que je torturais à souhait et que je croyais être moi, c’était le terrain de jeux du mental.
Je me promène de nouveau dans le salon, car il y a mouvement perpétuel, rien n’est stable, rien sur quoi s’arrêter, tout bouge, tout vibre constamment. Là les meubles ont disparu, je vois les murs et le plafond faits d’une matière spongieuse et bleutée, vivante, en fait je ne vois pas comme vous pourriez voir avec vos yeux, je constate et je suis, et tout cela se passe de seconde en seconde, comme des petites séquences qui naissent et meurent. J’ai conscience que je ne vois plus de la même manière. J’essaye également de faire parler le corps, et j’entends comme un écho, comme une voix distordue, inintelligible, la vision à changé, le son de ma voix n’est plus perçu et je ne suis plus mon corps, tout va bien, rien ne m’affecte, pas de panique à bord.
Je constate que le monde de la forme n’est pas obligatoire, que le mental conditionne la vision. Quand le mental est éteint à jamais, la vision change. Le monde de la dualité est un monde épuisant, le mental cherche toujours à nommer, comparer, reconnaître, il ne s’arrête jamais, il en veut toujours plus, il n’est jamais satisfait, c’est un mouvement incessant. Maintenant je vois l’essentiel au-delà de la forme.
Je regarde les murs bleutés qui s’effacent doucement, l’appartement a disparu, je suis dehors, inondée de lumière, baignant dans une douce chaleur. J’ai devant moi une chaîne de montagnes et sur le flanc de l’une des montagnes je vois défiler dans une couleur délavée, comme une aquarelle, l’hologramme des évènements de ma vie, les images sont pleines de vie, elles font partie de moi mais ne m’atteignent pas sur le plan émotif. Je me sens unie à cet hologramme, mais je ne me sens pas concernée.
Mes sens se rassemblent et deviennent une unique perception. Mes sens ne sont plus divisés je suis le son, la couleur, la forme, rien n’est limité, tout est plein, complet. Je marche doucement avec légèreté, je me sens libre et en paix.
Quand tu es le tout tu ne peux pas ne pas te sentir en paix, tu n’as plus de désir, plus de peur, tu ne peux pas comprendre que quoi que ce soit peut être séparé de toi.
Je reviens près du lit et je vois mon corps dormir paisiblement, plus de stress, plus de douleur. Je viens de basculer et dans ce nouvel état, je continue mon expérience.
Je me retrouve sur un chemin de campagne et je vois une petite boulangerie; c’est le matin, tôt. Je sens l’odeur du pain qui flotte. J’entre dans la boutique et je vois qu’il y a des gens qui font la queue pour être servis. Je passe devant tout le monde et je dis : « C’est moi qui était la première » en riant, pour plaisanter.
Je me retourne et vois un homme, le Jésus de mon enfance, une longue tunique, les yeux bleus fluo et la barbe. Je ne vois que ses yeux. Son regard prend toute la place et je ressens mon ancien concept de tout l’amour du monde, ce désir de recherche de l’amour infini. La petite fille pieuse se sent humble face à cette force, cette pureté, cette beauté, cette image de Dieu. Jésus me regarde, me sourit et disparaît doucement dans la lumière. Je sens qu’avec cette disparition, une armée de personnages mystiques disparaît également de façon définitive.
Toute l’iconographie religieuse, tous les concepts disparaissent à jamais de façon douce.
Une dame au comptoir me dit : « voici vos pains »… je me sens gênée, j’ai l’impression d’avoir pris la place de quelqu’un d’autre, elle me dit : « mais non c’est là pour toi » et elle me donne les pains. Elle me tend la main et je lui donne ce qui est dans la mienne : un cœur en chocolat noir. Je regarde à l’extérieur, c’est immense dehors et tellement attirant.
Humble devant cette expérience, je me sens comme ne la méritant pas. Pourquoi moi ? Pourquoi pas les autres ? Je me sens indigne d’avoir cette expérience, et la boulangère me confirme que je suis à ma place et bien digne de vivre ça. En retour je lui donne un cœur en chocolat, ce qui symbolise toutes les recherches de plaisirs dans le système de pensée égotique, je pourrais baptiser ce cœur « Épicure ». En échange des pains, qui symbolisent la connaissance, l’état naturel, la vie, je donne mon cœur en chocolat nommé Épicure. Et là je regarde à l’extérieur, c’est illimité, tout est complet, tout est parfait et je suis cela.
http://3emillenaire.com/fr/temoins-deveil/item/90-le-basculement-betty.html
Blog de Betty: http://www.lagrandejoie.com/Accueil.html
Il est cinq heures du matin le 6 octobre 2008. Je dors profondément dans mon appartement de St. Jean sur Richelieu en grande banlieue de Montréal, au Québec. Je dors, mais parallèlement je vis un bouleversement monumental. À l’accoutumée et depuis ma plus tendre enfance, ma phase de réveil matinal se produit en deux temps. Premièrement, je prends conscience de mon environnement de l’intérieur puis je demande à mon corps de s’activer, de se réveiller. Le tout se succède en quelques secondes, je passe chaque matin par ces deux phases de démarrage selon un mécanisme bien huilé faisant partie de moi et je suis complètement à l’aise avec ce processus.
Mais ce matin tout va de travers. Mon processus de réveil ne répond plus, j’essaie de prendre conscience de mon environnement de l’intérieur et de réveiller mon corps, mais quelque chose me garde à l’intérieur, quelque chose empêche le réveil du corps. Pourtant je suis en pleine lucidité, je suis consciente, mais je n’arrive pas à ouvrir les yeux, je sens un grand malaise, comme si j’étouffais. « Ça y est », me dis-je, « je suis en train de mourir, je manque d’air, je fais une crise cardiaque ». Je suis à la veille de trépasser, mais je ne ressens aucune panique, je suis capable d’en mesurer l’intensité, j’accepte ça calmement et je laisse aller. Je me laisse glisser et j’abandonne sans remords tout ce qui a été ma vie, mon corps, tout ce qui était Betty.
J’ai senti comme un grand remous qui partait des pieds pour arriver à la tête, c’était le constat d’un processus qui s’installait, une invitation à sortir de mon corps, à l’abandonner, j’étais prête à le faire et je reconnaissais ça froidement comme la venue de la mort.
Cela faisait déjà un mois que j’étais dans cet état d’esprit, je regardais les choses se produire autour de moi et j’avais la volonté de ne pas agir, je laissais faire, j’étais prête à accepter tout tel quel, cela n’avait pas d’importance, c’était comme un raz le bol général, je ne me sentais pas concernée par quoi que ce soit.
Je commençais à constater que je m’étais trompée sur moi-même, je me disais : « ça ne marche pas mon histoire, c’est quoi la suite, rien ne fonctionne, mais je m’en fiche et ce qui se passera ensuite n’a pas d’importance ». J’étais dans une attitude d’acceptation totale, stressée, extrêmement fatiguée et j’avais sans arrêt des sensations d’étouffement, comme si je subissais une pression à la base du cou juste en dessus du sternum.
À l’instant où je me laisse glisser, je me retrouve debout à côté de mon lit à regarder mon corps souffrir. Il a des convulsions et je me dis : « ce n’est pas possible de souffrir comme ça », je constate cette chose qui tressaute et souffre à côté de moi, mais je ne m’assimile pas à ça, je n’ai aucune émotion, je regarde simplement.
Alors voilà, c’est simple je suis en train de mourir et je l’accepte sans panique, je me laisse aller dans la mort d’une manière sereine, pas de lutte, pas de protestation, rien, seulement l’observation d’une situation. « Allons-y ! Je suis prête ».
Le décor change brusquement. J’observe deux moi-même se faisant face autour de la table de la salle à manger, l’un est debout, l’autre assis.
Je résume : il y a mon corps qui est allongé dans mon lit et qui souffre, il y a un premier moi qui observe ce corps et qui en même temps regarde deux autres moi qui se font face dans la salle à manger. Nous sommes quatre à intervenir en même temps, un moi qui joue le rôle de pivot et qui perçoit, un corps qui souffre, un moi qui est toute émotion et un moi qui est rationnel et autoritaire, et le tout dans une perception globale, le tout faisant partie de moi. Ce n’est pas un observateur qui prend de la distance, non, tout est inclus et en même temps distinct et identifiable.
Le moi émotif et le moi rationnel étaient les deux facettes de ma personnalité depuis toujours. Quand le moi émotif souffrait trop, qu’il y avait danger d’anéantissement en regard des épreuves subies, le moi rationnel prenait les choses en main, effectuait les changements de cap pour que tout redevienne supportable, jusqu’à la prochaine crise du moi émotif, et à nouveau le moi rationnel entrait en jeu pour faire les changements, les ruptures nécessaires et remettre tout en ordre. J’ai fait ça toute ma vie : « tu souffres et il y a danger de déséquilibre, on va changer d’environnement, on va changer d’espace, de métier, d’amis, etc. ».
Quand je parle de souffrance et de danger de déséquilibre, je parle d’évènements qui auraient pu me déstabiliser au point que je devienne non fonctionnelle, au point que j’aie à être enfermée en institut. Toute ma vie jusqu’au basculement je suis restée sur cette ligne, en équilibre entre mes mondes et ce qu’on pourrait appeler la raison.
Le moi pivot regarde le moi émotif et constate une grande concentration de douleur, le moi émotif se plaint : « je n’en peux plus de toujours chercher à savoir qui je suis et à ne jamais réussir ». Beaucoup de larmes, une douleur intolérable. « Je suis seule, personne ne s’est occupé de moi, l’enfance a été difficile pour moi, mais j’ai survécu et ça continue encore cet emprisonnement malgré mon acharnement à vouloir me sortir de là, je ne réussirai jamais ! »
Il y a beaucoup d’émotions et de sincérité dans ce constat, j’avais cherché honnêtement qui j’étais, j’avais tout essayé et rien ne marchait, je me sentais complètement vide, j’avais une grosse sensation de stress, une sensation de douleur immense, d’étouffement à la base du cou. J’avais essayé de par mes lectures et mes recherches ésotériques à guérir les souffrances de la petite fille pieuse qui m’habitait depuis toujours, à comprendre pourquoi je vivais dans plusieurs mondes à la fois. Mais c’était le constat d’échec. C’était l’ultime épuisement.
Le moi rationnel debout en face, à l’autre bout de la table, pointe du doigt le moi émotif et lui dit : « Tais-toi, arrête de te plaindre ça suffit ! ». Il avance en le menaçant. Il y a de l’exaspération presque de la violence dans sa voix; c’est un ordre.
Le moi rationnel, c’était la partie de moi qui trouvait des solutions, le combattant qui se ressaisissait en deux secondes. Déjà, étant petite, quand j’étais malheureuse, c’était celui qui érigeait les barrières, qui me construisait un sanctuaire intérieur où rien ni personne ne pouvait m’atteindre. C’était mon mécanisme de survie qui me disait, quand c’était trop douloureux : « on s’en va, on ne reste pas là, c’est dangereux pour toi ».
À ce stade, je voyais tout mon système fonctionner, tout était moi, mais découpé de manière à ce que je comprenne qui j’étais, comment ces mécanismes se mettaient en place et cette perception totale était complètement nouvelle pour moi.
Le moi pivot regarde le corps s’agiter douloureusement et se dit : « ça y est, le corps va mourir, il ne va pas supporter cette expérience » et curieusement, ne se sent pas concerné.
Le moi émotif est épuisé, poussé à bout, sans force, sans réaction, l’élastique qui lui permet de revenir au calme est tendu au maximum, près de la rupture, il est au bord de la perte de contrôle. Il est tellement terrorisé par les ordres donnés par le moi rationnel qu’il se met à rapetisser, j’ai la sensation que mon corps diminue et je perçois mon incapacité à réagir.
Maintenant mon corps ne mesure plus qu’environ six pouces (20 centimètres), il n’a plus de force, devient comme de la gélatine, tombe par terre, et se frappe le visage contre le plancher de bois. J’entends le bruit de la tête qui frappe le sol dans un son mat.
Je sais que le moi émotif est allé trop loin, qu’il n’y a aucune solution pour revenir en arrière et reprendre mon mécanisme de survie, tout va se casser. Le moi rationnel a dit au moi émotif : « meurs, je ne veux plus te voir, je ne suis plus capable de te supporter ». À ce stade le moi émotif disparaît et la sensation de rétrécissement du corps est extrêmement douloureuse, le moi rationnel est en train de tuer le moi émotif, c’est infernal à supporter.
J’abandonne, je dépose les armes, sachant que c’est la fin, je sens la mort m’envahir. C’est la deuxième sensation de mort, la première était uniquement physique, alors que celle-ci est émotive. C’est la personne qui souffrait, qui voulait diriger, qui voulait survivre à tout prix et qui ne s’en laissait imposer d’aucune manière qui trépasse. C’est celle qui passait des marchés avec Dieu. En même temps mourrait aussi la petite fille pieuse qui n’aspirait qu’à la paix, la partie intouchable, la partie que je préservais de moi-même et que personne ne pouvait atteindre.
Je viens de me suicider à moi-même, plus de retour en arrière possible, mon corps devient de plus en plus petit, devient comme de la gélatine et ma tête frappe le sol dans un bruit sourd et mat, comme deux camions qui se rentrent dedans en collision frontale, le moi émotif est dissout, il entraîne le moi rationnel, tout le système est cassé, je ne suis plus.
Quand je parle de la mort de la petite fille pieuse, c’est la mort de ce qu’il y a de plus intime, de plus authentique en moi-même, c’est mon dernier rempart, ma dernière défense.
Je sens que je me dissous, c’est le dernier souffle de Betty, j’abandonne totalement et je me dis: « c’est la fin ! » Je me sens lourdement écrasée.
C’est la fin de ma personnalité, de mon moi, du centre que je pensais être.
Et là tout bascule, il n’y a plus de moi émotif, plus de moi rationnel, plus de corps qui souffre, juste une conscience totale.
Je marche dans le salon et j’étouffe de joie, je crie : « je suis cette joie ». J’ai de la difficulté à contenir cet état merveilleux. Je regarde à l’extérieur et je ressens l’univers, la lumière me pénètre. Je suis ce que je vois mais aussi je suis l’air que je respire.
Là j’ai conscience que ce que je ressens est énorme, à la limite du supportable, c’est un peu comme quand on prend une bouffée d’air trop frais, mais là c’est amplifié mille fois et ça n’arrête pas et je crie : « je suis cette joie, je suis ce que je vois, je suis l’air que je respire, je suis la vie qui est en mouvement, je suis ce courant » et je ne puis rester en place. Quand je dis « je ressens l’univers », cela veut dire que rien n’est différent de moi, je fais l’expérience de l’unité, tout ce que je vois c’est moi, tout est plein, tout ce qui est vibration n’est plus à l’extérieur, c’est moi.
Je marche, je suis en mouvement comme ce flot qui me traverse, je ne peux pas rester en place.
C’est paradoxal à expliquer, tout est en mouvement, je suis le tout, mais tout est calme et en paix, rien ne me perturbe.
Je prends conscience que je ne suis plus un corps, je ne suis plus cette enveloppe limitée, mon petit corps de rien ne peut pas contenir cette énergie phénoménale. Voilà pourquoi je bouge, pourquoi je suis en mouvement, c’est trop puissant pour que je puisse rester en place, je constate que je ne pourrais pas garder cette énergie à l’intérieur de mon corps, tout va exploser.
Maintenant je vois mon corps âgé d’environ 30 ans, habillé décontracté en jeans, assis sur une petite chaise d’école, la tête penchée sur le côté droit. Il a les yeux ouverts, mais ils sont sans vie, comme les yeux vitreux d’un mort, il est moins vivant qu’une plante.
C’est comme si je contemplais une statue de moi-même. Heureusement qu’il est calé sur une chaise, parce que sans ça, il tomberait, il ne peut rien faire de lui-même.
Je m’adresse à lui en disant : « je suis tellement contente de te voir, je suis tellement contente de ne plus être associé à toi, tellement contente de ne plus être responsable de toi. » Je m’avance vers mon corps et je le touche, je sens qu’il est vivant, qu’il fonctionne, mais je ne suis plus associé à lui, je le vois mais ce n’est plus moi. Je constate que je me suis trompé sur moi-même, je pensais que j’étais ce corps duquel tout partait, chaque pensée, chaque action, mais ce n’était pas vrai, c’était un robot que je programmais au gré de mes pensées.
Il est étonnant pour moi de constater comment cette créature est à l’extérieur de moi, comme si j’étais sorti d’une espèce de robot. Je comprends parfaitement sa fonction.
En l’espace d’une seconde, je fais le tour de la situation. Je suis consciente de mon corps allongé dans mon lit qui tressaute et souffre, je suis consciente du moi rationnel et du moi émotif, mais je ne suis plus ça, le moi pivot a émergé et s’est transformé en cette vaste conscience, la perception est directe, pas de pensées pour classifier le tout, et, directement, je constate que je ne peux pas supporter ça et je hurle : » Ah ! Ah ! Ah ! Ah !!! « , je suis ce cri, je ne suis pas mon corps hurlant de terreur, je suis le cri dans toute son amplitude, dans toute sa vibration.
Ce que je vous dis c’est que je suis la voix, je suis la totalité de ce qui m’entoure, je n’ai pas de limite, si je dirige ma conscience sur quelque chose, je suis cette chose, je suis unie à tout. C’est irréversible, l’ancienne Betty n’existe plus, mon ancien mode de fonctionnement s’est éteint et je suis en train d’expérimenter quelque chose de radicalement nouveau. Par ce cri, l’ancien mécanisme a essayé de se réanimer, mais plus rien ne marche, mon ancien système de pensée est cassé à jamais.
Je regarde de nouveau mon corps sur la chaise, je constate qu’il est inerte, qu’il ne fait rien de lui même et je vois à quel point la folie nous pousse à torturer cette chose au gré de nos hallucinations, au gré de nos constructions mentales. Le corps est neutre, il n’a pas d’état d’âme et je ne suis pas un corps je suis le tout et j’en suis intégralement consciente depuis les trois cent soixante degrés de mon nouveau champ de vision.
Je constate comment je projetais tous mes états d’âme sur ce corps que je torturais à souhait et que je croyais être moi, c’était le terrain de jeux du mental.
Je me promène de nouveau dans le salon, car il y a mouvement perpétuel, rien n’est stable, rien sur quoi s’arrêter, tout bouge, tout vibre constamment. Là les meubles ont disparu, je vois les murs et le plafond faits d’une matière spongieuse et bleutée, vivante, en fait je ne vois pas comme vous pourriez voir avec vos yeux, je constate et je suis, et tout cela se passe de seconde en seconde, comme des petites séquences qui naissent et meurent. J’ai conscience que je ne vois plus de la même manière. J’essaye également de faire parler le corps, et j’entends comme un écho, comme une voix distordue, inintelligible, la vision à changé, le son de ma voix n’est plus perçu et je ne suis plus mon corps, tout va bien, rien ne m’affecte, pas de panique à bord.
Je constate que le monde de la forme n’est pas obligatoire, que le mental conditionne la vision. Quand le mental est éteint à jamais, la vision change. Le monde de la dualité est un monde épuisant, le mental cherche toujours à nommer, comparer, reconnaître, il ne s’arrête jamais, il en veut toujours plus, il n’est jamais satisfait, c’est un mouvement incessant. Maintenant je vois l’essentiel au-delà de la forme.
Je regarde les murs bleutés qui s’effacent doucement, l’appartement a disparu, je suis dehors, inondée de lumière, baignant dans une douce chaleur. J’ai devant moi une chaîne de montagnes et sur le flanc de l’une des montagnes je vois défiler dans une couleur délavée, comme une aquarelle, l’hologramme des évènements de ma vie, les images sont pleines de vie, elles font partie de moi mais ne m’atteignent pas sur le plan émotif. Je me sens unie à cet hologramme, mais je ne me sens pas concernée.
Mes sens se rassemblent et deviennent une unique perception. Mes sens ne sont plus divisés je suis le son, la couleur, la forme, rien n’est limité, tout est plein, complet. Je marche doucement avec légèreté, je me sens libre et en paix.
Quand tu es le tout tu ne peux pas ne pas te sentir en paix, tu n’as plus de désir, plus de peur, tu ne peux pas comprendre que quoi que ce soit peut être séparé de toi.
Je reviens près du lit et je vois mon corps dormir paisiblement, plus de stress, plus de douleur. Je viens de basculer et dans ce nouvel état, je continue mon expérience.
Je me retrouve sur un chemin de campagne et je vois une petite boulangerie; c’est le matin, tôt. Je sens l’odeur du pain qui flotte. J’entre dans la boutique et je vois qu’il y a des gens qui font la queue pour être servis. Je passe devant tout le monde et je dis : « C’est moi qui était la première » en riant, pour plaisanter.
Je me retourne et vois un homme, le Jésus de mon enfance, une longue tunique, les yeux bleus fluo et la barbe. Je ne vois que ses yeux. Son regard prend toute la place et je ressens mon ancien concept de tout l’amour du monde, ce désir de recherche de l’amour infini. La petite fille pieuse se sent humble face à cette force, cette pureté, cette beauté, cette image de Dieu. Jésus me regarde, me sourit et disparaît doucement dans la lumière. Je sens qu’avec cette disparition, une armée de personnages mystiques disparaît également de façon définitive.
Toute l’iconographie religieuse, tous les concepts disparaissent à jamais de façon douce.
Une dame au comptoir me dit : « voici vos pains »… je me sens gênée, j’ai l’impression d’avoir pris la place de quelqu’un d’autre, elle me dit : « mais non c’est là pour toi » et elle me donne les pains. Elle me tend la main et je lui donne ce qui est dans la mienne : un cœur en chocolat noir. Je regarde à l’extérieur, c’est immense dehors et tellement attirant.
Humble devant cette expérience, je me sens comme ne la méritant pas. Pourquoi moi ? Pourquoi pas les autres ? Je me sens indigne d’avoir cette expérience, et la boulangère me confirme que je suis à ma place et bien digne de vivre ça. En retour je lui donne un cœur en chocolat, ce qui symbolise toutes les recherches de plaisirs dans le système de pensée égotique, je pourrais baptiser ce cœur « Épicure ». En échange des pains, qui symbolisent la connaissance, l’état naturel, la vie, je donne mon cœur en chocolat nommé Épicure. Et là je regarde à l’extérieur, c’est illimité, tout est complet, tout est parfait et je suis cela.
http://3emillenaire.com/fr/temoins-deveil/item/90-le-basculement-betty.html
Blog de Betty: http://www.lagrandejoie.com/Accueil.html
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