vendredi 24 février 2012

Michel Siciliano


L’homme peut-il être assimilé à un robot ? Si oui, à partir de quand cela se met-il en place chez un être humain et pourquoi ?

Je dirais que la première grande raison qui nous conduit à être la plupart du temps dans les répétitions et les réactions automatiques à tout, est que nous sommes inconscients. Nous n’avons vraiment aucune idée que nos réactions, que ce que nous faisons, ce que nous disons, la manière dont nous le disons, que tout cela est mécanique. Ce sont des processus appris. Ces mécanismes sont issus de nos programmes.
Ce sont des choses que nous avons apprises depuis notre naissance, et même avant. Quand nous étions dans le ventre de notre mère, nous avons commencé à apprendre différents types de réactions car nous pouvions entendre. Nous pouvions entendre comment notre mère réagissait à certaines choses, à certaines énergies, et cela nous a programmé. Plus tard, nos expériences en tant que bébé nous programment. (…).

Ainsi, ces programmes s’impriment en nous dès notre plus jeune âge : l’information entre, affecte la personne, et par la suite ce mécanisme se reproduit encore et encore, année après année.
On pourrait dire que nous sommes comme un ordinateur, dans lequel vous insérez tous les programmes que vous voulez, tous les programmes avec lesquels vous voulez travailler. Un ordinateur fera exactement ce pourquoi il est programmé. Il vous redonnera ce que vous lui demandez, ce que vous lui avez appris.

 Nous sommes tout à fait comparables à cela. Tels des robots. Nous n’agissons pas qui nous sommes car nous ne savons même pas qui nous sommes, nous ne nous connaissons pas. Nous avons perdu tant de cela étant enfant. Nous ne comprenons pas que ces réactions ne sont pas nous, nous pensons qu’elles sont nous. « Mais si, c’est moi, c’est moi qui les agis, donc cela est moi ! » Alors que ce sont simplement des actions et paroles – ou plutôt des réactions - automatiques. Quand nous sommes dans les mécanismes automatiques, il n’y a point de relation ; il n’y a que des scénarios imprimés en nous qui se répètent tout au long de notre vie, qui colorent chaque aspect de notre vie si nous ne faisons rien pour devenir conscient de cela, pour devenir conscient de qui nous sommes vraiment. pour le restant de notre vie. (…).

Un seul évènement suffit à induire en nous un comportement automatique, inconscient.
Ces automatismes vont affecter non seulement nos actions, mais jusqu’à nos pensées et nos paroles, et ce à tout moment de la journée ?
Oui. Nous grandissons pensant que nos actions, nos paroles, nos pensées, sont nous. Nous grandissons en nous identifiant à ces programmes, à ces mécanismes, à ces réactions automatiques. Cela est notre conditionnement. Commencer à prendre conscience de cela, c’est la possibilité de s’ouvrir à l’humain en soi, à la relation au lieu de la réaction, à être responsable au lieu de victime.
Alors au final, dans le monde inconscient, ce n’est pas tant la situation ou la personne en face qui nous intéresse vraiment, c’est plutôt en quoi la personne ou la situation va me permettre d’entretenir mes programmations et mécanismes. De ce fait, mes actions, paroles, pensées, sont déconnectées de qui je suis, et sont connectées aux croyances, illusions et mécanismes auxquels je m’identifie et que j’entretiens tout au long de ma vie.
Oui. Un exemple : je suis quelqu’un de colérique. Je parle à quelqu’un qui ne m’écoute pas, pas vraiment. Cela crée de la frustration en moi. Je n’exprime pas ce que je ressens, et voilà la parfaite occasion pour activer ma colère et pour blâmer l’autre de ne pas m’écouter. Voilà un exemple de comment j’utilise une situation extérieure pour activer un mécanisme, ici l’émotion de la colère, au lieu de communiquer et prendre soin de ce qui se passe vraiment en moi : le besoin d’être écouté (…).
Qu’est-ce qui peut alors aider un enfant à grandir pour devenir vraiment lui-même, et non pas devenir un ensemble de réactions automatiques que l’entourage et la société auront imprimé en lui selon ce qu’ils veulent que l’enfant devienne ?
    
S’il est donné de l’espace à l’enfant et que celui-ci est élevé de manière consciente, la combinaison des deux permet à l’enfant d’apprendre par lui-même. « Ne mets pas la main dans le feu, tu vas te brûler » : l’enfant n’a jamais encore fait l’expérience du feu, mais le parent a tellement peur, que l’enfant ressent une peur non naturelle en lui. Alors que si l’on permet à l’enfant de faire l’expérience du feu, de la flamme, sous la bienveillance de l’adulte, l’enfant fera lui-même l’expérience que c’est chaud, même très chaud. Et il n’aura pas toute cette peur autour de lui en anticipation qu’il « pourrait se brûler ». L’enfant aura appris de lui-même que s’il met la main dans le feu, il aura mal. Alors donner à l’enfant de l’espace, l’espace pour apprendre par lui-même, pour ressentir et pour se sentir confortable avec le sentiment qu’il reçoit, quel qu’il soit, donner à l’enfant autant de conscience que possible, va lui permettre de grandir le plus possible dans le respect de qui il est vraiment.

Alors pour les personnes qui ont été pleinement programmées, ce qui est le cas pour la plupart d’entre nous, si nous sommes tels des robots : où est l’être humain dans tout cela ?
Caché à l’intérieur. Très bien caché. Caché derrière tous ses programmes, derrière tous les jeux du mental pour maintenir la personne dans les programmes, derrière toutes les manipulations du mental pour maintenir la personne dans sa ‘zone de confort’ (notre zone de confort se réfère à tout ce avec quoi nous avons été élevé, aussi inconfortable puisse-t-elle être).

L’être humain est caché derrière différentes couches, comme un oignon. L’être humain est là, à l’intérieur, sauf qu’il est recouvert, ce qui le fait ressembler plus à un robot qu’à un humain.
En quoi peut-on considérer l’aspect positif de nos programmations ?
Il y a un côté positif au fait que l’être humain soit si programmable : cela montre combien nous sommes réceptifs, que nous assimilons tout ce qui se passe. C’est seulement négatif lorsque vous ne savez pas que c’est le robot en vous qui agit, quand vous n’en avez pas conscience. Mais une fois que vous en avez conscience et que vous êtes présents dans le moment, vous pouvez agir sur l’information qui arrive à vous sans que celle-ci n’ait à devenir un programme ; cette information peut être utilisée par l’être humain. Cela est très positif, cela montre l’intense capacité d’un être humain, qui peut utiliser tout ce qu’il reçoit.

Cela devient un problème lorsque c’est l’information qui nous utilise. Si nous recevons une information, et que nous ne réalisons pas que nous avons reçu une information, que celle-ci est entrée dans notre programmation, alors cette information nous mène. Ce qui se rapporte aussi au mental : est-ce notre mental qui nous utilise ou utilisons-nous notre mental ? Tout est une question de conscience, de capacité à être présent dans le moment.
Alors comment pouvons-nous arrêter cette chaîne de réactions automatiques, sur lesquelles nous bâtissons un faux sentiment d’identité, et qui nous empêche de voir qui nous sommes vraiment ?

En commençant par changer des habitudes, vos mauvaises habitudes, les habitudes automatiques. Par exemple, si vous avez l’habitude de commencer des choses sans les terminer, vous entreprenez de terminer ce que vous commencez.
S’agit-il donc de se déprogrammer, pour se transformer en qui on est vraiment ?   
 
Oui. Nous avons besoin d’arrêter les anciennes habitudes, celles qui sont connectées à nos programmes et d’entreprendre de nouvelles habitudes, les habitudes d’un adulte. Après avoir fait ce processus, nous nous donnerons l’espace pour nous voir vraiment, pour voir ce qui émerge. Par exemple : si nous n’aimons pas quelqu’un qui est fort avec nous énergétiquement, et que notre habitude était de nous taire et de nous retrancher de la relation, une nouvelle habitude pourrait être d’être devant cette personne, l’écouter, ne pas prendre ce qu’elle dit personnellement et répondre comme un adulte. Cette nouvelle habitude ne fait pas partie de votre programme. Cette nouvelle habitude vous donnera à vous, ainsi qu’à l’autre, l’espace pour être différent. Vous pouvez essayer de faire cela seul, mais mon expérience me montre que l’on a besoin d’aide. Ce n’est pas une affaire facile de changer une vieille mauvaise habitude.

Donc ta question est en effet véritablement le processus qui aide la personne à se trouver.
Et l’auto-observation ?
Oui, vous vous observez. Mais avez-vous la force pour aller contre, pour batailler avec tous ces démons qui essaient de vous maintenir exactement tel que vous êtes ? Ces démons, déguisés sous forme de mauvaises habitudes, de choses apprises depuis l’enfance, avez-vous la force pour les combattre ? Vous le ferez peut-être pendant un temps, mais sur la durée ? L’observation de soi est bonne si elle est utilisée dans un contexte de changement.

Alors l’observation de soi, à elle seule, ne suffit pas, elle doit accompagner un désir de changer ?
Exactement. Sans le désir de changer, la plupart des personnes qui s’observent ne vont nulle part. Cela demande de développer la force d’aller plus loin. Le désir de se voir, de voir ce que l’on est à tout moment donné. C’est douloureux de se voir faire toutes ces choses qui ne sont pas nous. C’est avoir le courage de les voir, de les traverser, et d’aller de l’autre côté.
Souvent, nous changerons nos circonstances extérieures pour préserver l’équilibre de nos programmes, comme par exemple, changer de conjoint, de patron, etc. C’est ce que font la plupart d’entre nous : nous quitterons une situation, blâmant cette situation, et bien souvent cette ‘fuite’ est un moyen qui nous permet de rester dans nos mécanismes.

Oui. Un moyen de nous permettre de demeurer un robot. Beaucoup de personnes se séparent, quittent leur conjoint, leur travail, partent, partent, partent. Alors que si elles restaient, si elles travaillaient sur la situation au lieu de fuir, il se peut qu’elles découvrent quelque chose de très différent sur elles-mêmes et sur la vie. Dans beaucoup de cas, si la personne reste, sans changer de partenaire ou de patron, elle va traverser la situation, devenir plus forte, comprendre plus, ressentir plus, et être plus en paix que si elle part. Une personne qui ressent le besoin de changer quelque chose dans sa vie, si elle traverse d’abord la situation, qu’elle accepte d’abord de voir ce qui est là pour elle, soit par la suite le changement en question n’a plus lieu d’être, soit il se fera d’une manière très différente, en conscience.

Parce que la fuite n’est ni plus ni moins le mécanisme à l’œuvre, qui maintient dans le changement constant. Vous restez un robot. Votre mental vous mène. L’ordinateur vous mène. Vous n’avez pas le contrôle de votre mental. Votre mental vous utilise, vous n’utilisez pas votre mental. C’est à cela que tout se résume : au mental. Vous faites toutes ces choses par habitude, à répétition, année après année, car c’est le mental qui vous utilise.

Si nous observons attentivement, nous verrons que finalement, quelle que soit la personne ou la situation, nos schémas ou croyances sont invariablement et mécaniquement ravivés. Et avec cela, le lot de souffrances qui les accompagnent. Alors souvent, pour mettre un terme à la souffrance, nous cherchons à changer la situation, ou à changer de partenaire, à changer l’extérieur, jusqu’à ce que tôt ou tard, la mécanicité finisse par recommencer dans cette nouvelle situation. Nous restons aveugles à la réalité de ce qui est, et nous cherchons à changer l’extérieur au lieu d’utiliser celui-ci pour aller regarder ce que, en soi, nous avons besoin de rendre conscient.

Et nous pensons que ces automatismes sont nous. 
   
Exactement. Et ce ‘nous’ là ne pourrait, en fait, être plus éloigné de la vérité.
Alors que sommes-nous, si nous ne sommes pas toutes ces choses ?
Un être humain qui pense librement, qui utilise son mental pour accomplir des choses. Les amérindiens disent « nous devenons un être humain » (ce que nous appelons le processus de devenir conscient).
Comment s’appeler être humain si votre mental vous régit ? Si vous ne voulez pas être tel un robot, apprenez à utiliser votre mental au lieu de vous laisser utiliser par celui-ci. Apprenez à faire taire le mental, à le mettre au repos.

Tu proposes d'arrêter le mental. Mais qui en moi reçoit cette injonction ? Est-ce le mental ? Il me semble que cette injonction ne peut qu’être prise sur un plan horizontal : "Ah oui, c'est vrai, je vais essayer d'arrêter le mental pour que ça aille mieux". Le mental peut-il arrêter le mental ? N'y a-t-il pas un risque que cette proposition provoque le refoulement et l'écrasement des pensées, au risque d'abîmer la fonction de la pensée ?

Lorsqu’une personne envisage ne serait-ce que de réfléchir à comment arrêter le mental, elle a déjà certainement quelques bases d’une éducation sur le plan spirituel (qu’il s’agisse d’une éducation de personne débutant sur le chemin ou d’une éducation de personne relativement mature sur le chemin). En général ce n’est pas n’importe qui, qui peut dire « je veux arrêter mon mental ». Ce n’est pas n’importe quel passant dans la rue qui va considérer une telle question. Même le grand public qui lira cet article, qui s’intéresse à La Revue du 3ème Millénaire, a une ouverture dans le domaine humain, spirituel.
Aussi, avec cette éducation, une personne est quelque peu ouverte et disponible pour travailler sur soi, pour essayer d’arrêter le mental. Il ne s’agit pas de réprimer le mental au point d’être comme un légume, de ne plus pouvoir réfléchir, de ne plus être capable d’utiliser la fonction de la pensée. Cela ne marche pas ainsi.

Premièrement, arrêter le mental est très difficile, vous pouvez essayer cela pendant des années et le mental ne s’arrêtera pas comme ça. Mais vous pouvez utiliser ces années-là pour travailler des pratiques permettant de commencer à arrêter le mental.

Une pratique allant dans ce sens est, à un premier stade, non pas d’essayer d’arrêter le mental mais d’arrêter de suivre la pensée : lorsqu’une pensée arrive, ne suivez pas la pensée. Si vous ne suivez pas la pensée, vous ouvrez alors un espace pour un léger ‘blanc’ avant la pensée suivante.
Pratiquer ainsi est une méthode. Si vous poursuivez dans cette pratique, le mental va progressivement commencer à relâcher l’emprise de fer qu’il a sur vous, il commencera à arrêter le flot incessant des pensées complètement inutiles. C’est vraiment assez simple.

Très rares sont les personnes capables de simplement arrêter le mental, d’arrêter le flot incessant des pensées parasites et inutiles qui écartent du présent, de ce qui est. D’autant plus que, plus on vieillit, plus on est pris dans ce programme de pensées incessantes.

Il n’y a absolument pas d’inquiétude à avoir quant à la perte éventuelle de l’usage de son mental, de la faculté de penser. Dans toutes mes années sur le chemin de la conscience, je n’ai jamais entendu une telle chose concernant les personnes travaillant à arrêter leur mental.
Ce serait même, je dirais, l’inverse. En redonnant au mental sa juste place, cela permet d’être pleinement disponible à ce qui est. Dès lors, nous faisons simplement appel au mental pour traiter, résoudre des situations, au lieu de se laisser constamment emmener par lui. Le mental n’est pas à bannir car il est un outil formidable, utile et nécessaire, dont nous avons besoin. Ainsi, pour répondre à la question ‘qui arrête le mental ?’, c’est en partie la conscience, en partie un désir réel d’arrêter le mental, et c’est en effet en partie le mental qui donne l’ordre. Mais ce n’est pas l’un ou l’autre, ce n’est pas blanc ou noir. Si c’est le mental seul qui le pense et le dit, alors c’est impossible pour le mental de s’arrêter lui-même. Chez toute personne qui va tenter une telle chose, c’est une question de discipline, une question de volonté et de désir d’avoir réellement moins de pensées dans sa tête, d’avoir de l’espace, de ne plus être submergé par le flot continu des pensées.

 Tout apprentissage requiert généralement de la discipline, d’une manière ou d’une autre (apprendre un sport, un métier, un instrument, à conduire, etc.). De la même manière, cela demande une discipline de travailler sur notre mental, afin de créer l’espace pour pouvoir être présent à ce qui est.

Si l’on est plus présent, moins utilisé par son mental, peut-on dire que l’on est davantage un être humain, dans le cœur ?

Oui, si vous êtes présent, vous être dans le corps, dans le cœur ; si vous n’êtes pas présent, vous êtes dans votre tête, à constamment réfléchir, sans être présent et disponible pour ce qui est.

Alors qu’est-ce être présent ?     

Arrêter le mental, être là pour toute chose qui émerge. Quand vous êtes présent, vous pouvez ressentir. Vous êtes véritablement disponibles à ce qui est. Quand vous êtes dans la tête, c’est la même chose qui se reproduit encore et encore. Vous êtes tel un robot, c’est mécanique, il n’y a pas de spontanéité, pas de création, pas de vie. Vous êtes dans le monde des freins et des limitations du mental. Quand vous êtes présent, vous êtes toujours dans la création. Vous êtes dans la vie. Vous êtes dans le monde des possibles, sans limites. Vous êtes dans votre essence d’être humain.

(Propos recueillis et traduits par Mariam Siciliano)

http://conscienceetpresence.com/

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